September 25

 

I have always been interested in space, how we experience it, how we survey it, how its data and coordinates condition us cognitively and imaginatively. For a long time, it was the manipulatable object and the practical space that interested me: I folded doors and facades of buildings, stretched places, imagined tipping points between different dimensions of measurable space: the last pages of this file bear witness to this period.

For years afterwards, resident at 6B in Saint-Denis, I lived and worked in the suburbs. My work then oscillated between image and relief, in a mixture of 2D and 3D blurring the codes of representation and perception of space, playing back and forth between the frame of the image (flat and illusionistic, support for mental and imaginary projections) and the physical space subject to the laws of gravity and balance, that of sculpture and installation, which we could qualify, if not more « real », at least more concrete. In this context of work, the out-of-frame became frequent, like an excess of space, a thought that never manages to really stop, while colors appeared almost « flashing », at a deliberately high intensity, as one edits the brightness/contrast/saturation sliders on software, influenced by CMYK and chromatic digitalization – an approach as attractive as it is disrealizing.

In recent years, my work has focused on an increasingly “simple” practice of drawing on paper and installed drawing. My colors tended to soften. Attenuated, complex, more muted and mixed, they often become more difficult to name. Initially I came there partly out of compulsion. And then I found more and more meaning in it: although archaic – drawing a line, a surface on paper – these artistic means record, express and question better than ever the consequences of radical dematerialization, further accelerated in recent years, by the multiplication of screens in our daily lives. An increasingly significant part of our time is devoted to digital technology, but we remain bodies that breathe, look at the horizon, sigh, sweat, and struggle to sleep. As light as it is serious, drawing ultimately appears to me to be an extremely physical practice: the gesture is repeated, trace after trace, second after second. The movement of the body holds the form, it is dynamic. And if my colors remain haunted by something like the virtuality of a memory, what interests me most in them is the strange resistance of their physicality: neither drawing nor painting knows Ctrl Z.

This temporal and sensitive, meditative and vibratory dimension is further affirmed in a work of opposition and contrast as a duo, initiated since 2022 with Beranger Laymond. After having engaged in a rather spontaneous and scenographic game of confrontation of our differences (Between 2022 and 2024 during exhibitions in Royan, Paris, Toulouse and Bayonne), we are currently pursuing research in the form of dialogue/hybridization, which telescopes our gestures and our intentions, thus questioning a potential alternative to the notion of individual imagination. The artistic entity born from this merger is called Neyl-B Arden.

Nothing is more intimate than the sensitive elaboration of an artistic image, when we do not think of it from the outset in order to defend it or submit it to speculation, but we let it flow “naturally”. We therefore intentionally play at getting lost by questioning our own work habits, to move into practical territories (physical, sensory, temporal) which are not those which we have slowly developed, consciously or not, during our respective journeys, but those which we are now capable of intuitively identifying as being the other’s ways of doing things.

We can put forward a perilous metaphor at this point: successive scientific revolutions, over the centuries, have forced Western peoples, gradually secularized, to accept that the cosmos was not designed for them to be at the center and that their habitat, the earth, was potentially only an anecdote within an immensity whose extent was becoming inconceivable to ordinary human measurement. Peter Sloterdjik speaks of it as an expulsion, an exile, far from a planetary home once conceived as a single center encompassing all of reality. Working in pairs, in groups, with variable geometry, as Neyl-B does, also means accepting the adventure of this expulsion. Going beyond the stage of the artistic mirror, the illusion that the world revolves around you and expanding the perimeter of your own planet: it’s astonishing (realizing that our own personal characters, tastes, choices, imaginations were perhaps programmed, configured, reproducible) and very exciting.

 

Version Française

 

Ces dernières années, mon travail s’est resserré sur une pratique de plus en plus « simple » du dessin sur papier et du dessin installé. Mes couleurs ont eut tendance à s’adoucir. Atténuées, complexes, plus sourdes et mélangées, elles deviennent souvent plus difficiles à nommer. Au départ  j’y suis venue en partie par contrainte. Et puis j’y ai trouvé de plus en plus de sens: bien qu’archaïques – tracer une ligne, une surface sur du papier-, ces moyens artistiques enregistrent, expriment et interrogent mieux que jamais les conséquences d’une dématérialisation radicale, encore accélérée ces dernières années, par la multiplication des écrans dans notre quotidien. Une part de plus en plus importante de notre temps est consacré au numérique, mais nous restons des corps qui respirent, regardent l’horizon, soupirent, transpirent, et peinent à trouver le sommeil. Aussi léger que grave, dessiner m’apparait finalement comme une pratique extrêmement physique: le geste est répété, trace après trace, seconde après seconde. Le mouvement du corps tient la forme, c’est dynamique. Et si mes couleurs restent hantées par quelque chose comme la virtualité d’un souvenir, ce qui m’intéresse le plus en elles, c’est l’étrange résistance de leur physicalité: ni le dessin ni la peinture ne connaissent le Ctrl Z.

Cette dimension temporelle et sensible, méditative et vibratoire, s’affirme encore davantage dans un travail d’opposition et de contraste en duo, initié depuis 2022 avec Beranger Laymond. Après avoir engagé un jeu plutôt spontané et scénographique de confrontation de nos différences ( En 2022 et 2023 lors d’expositions à Royan, Paris, puis Toulouse), nous poursuivons actuellement une recherche sous forme de dialogue/hybridation, qui téléscope nos gestes et nos intentions, questionnant ainsi une potentielle alternative à la notion d’imaginaire individuel. 

Rien n’est plus intime au fond que l’élaboration sensible d’une image artistique, quand on ne la pense pas d’emblée pour la défendre ou la soumettre au spéculatif, mais qu’on la laisse s’écouler « naturellement ». Nous jouons donc intentionnellement à nous perdre en allant remettre en questions nos propres habitudes de travail, pour aller sur des territoires pratiques ( physiques, sensoriels, temporels ) qui ne sont pas ceux que nous avons lentement développés, consciemment ou non, au cours de nos parcours respectifs, mais ceux que nous sommes désormais capables d’identifier intuitivement comme étant des façons de faire de l’autre. 

On peut avancer à cet endroit une métaphore périlleuse mais : les révolutions scientifiques successives , au cours des siècles ont obligé les peuples occidentaux peu à peu sécularisés à accepter que le cosmos n’était pas conçu pour qu’ils en soient le centre et que leur habitat, la terre, n’était potentiellement qu’une anecdote au sein d’une immensité inconcevable par des outils cérébraux humains classiques. Peter Sloterdjik en parle comme d’une explusion, un exil, loin d’une maison- planète autrefois conçue comme un centre unique englobant toute la réalité. Travailler à deux, à plusieurs, c’est aussi un peu accepter l’aventure de cette expulsion. Dépasser le stade du miroir artistique, élargir le périmètre de sa propre planète: c’est effarant ( se rendre compte que nos caractères personnels propres, gouts, choix, imaginiares étaient peut-etre programmables, reproductibles) et très excitant. 

Format, système chromatique, surface, matériaux, nous nous imposons donc régulièrement (ce fut le cas récemment lors d’un temps de résidence au Bel Ordinaire à Billière en juillet et aout 2024), de déranger nos propres réflexes pour produire à deux dans une alternance entre le protocole et l’empirique, et nous en discutons constamment les enjeux. Ce duo existe en parallèle de nos démarches individuelles et appelle à s’ouvrir à d’autres, pour inventer un e entité-artiste à géométrie variable. 

 

Le jeu des contraires

 

Notre habitude logique est d’éliminer la contradiction : face à un couple de solutions toutes deux plausibles bien qu’opposées on choisit généralement de négliger l’une, de fait rabattue à la basse condition d’erreur, pour mieux légitimer l’autre. Comme si les antagonismes devaient nécessairement être défaits, et encore en faveur d’une issue exclusive. A contrario tout, dans le travail d’Anne de Nanteuil, concoure à ne justement pas résoudre les ambivalences.

C’est particulièrement manifeste dans ses espaces-machines – question de titre déjà, un mot composé, faisant donc sens par juxtaposition de deux termes dont l’enchaînement déborde à l’évidence leur simple somme. Voilà pour intention : l’enjeu est la relation, ce complexus par lequel le latin désigne ce qui est tissé ensemble. Il faut dire qu’avec ces nouvelles pièces murales Anne de Nanteuil s’applique d’évidence à imbriquer, à entremêler les choses en exploitant les interactions au lieu de les gommer ou de les lisser. Quitte à ce que ce processus conduise à certains paradoxes.

Quant à la nature même de la série d’ailleurs, d’emblée, on hésite : tableaux ou bas-reliefs ? Au centre de petites portions presque carrées de parquets flottants sont marquetés des modules géométriques en axonométrie. Pour fond donc, le plan du sol basculé à la verticale. Mais en son milieu, soulignant la si classique croisée des diagonales, la figure architecturale en perspective vient contredire cette planéité très moderniste – toute l’ironie étant de faire ainsi coexister un système de représentation de la profondeur avec cette autre conception antonyme de l’espace pictural qui, à l’inverse, préconise de l’évacuer. A moins, bien sûr, que le plan frontal ne soit plutôt un socle. Car de ce fragment de plancher s’enlèvent ici et là les saillies discrètes de l’une ou l’autre des différentes surfaces composant la vue en axonométrie. C’est aussi un travail de sculpture, avec ces jeux d’épaisseurs ténues qui rehaussent certains éléments de ces architectures aberrantes sans pourtant jamais simuler l’élévation induite par le tracé perspectiviste. Façon une nouvelle fois pour Anne de Nanteuil de déjouer toute univocité de lecture en composant par le volume un objet en propre, non pas réduit à rejouer l’image mais venant ajouter une toute autre infrastructure parfaitement antagoniste aux modalités de représentation spatiale déjà à l’œuvre. Voilà la mécanique de ces étranges espaces : un certain désordre, cette dérégulation non pas confusionnelle mais féconde qui parvient paradoxalement, sans jamais entièrement plier au code, à activer malgré tout une indubitable cohérence de la figure comme de l’espace représenté.

Et l’on pourrait poursuivre : la manière dont l’épaisseur du parquet est biseauté sur son revers (sur chaque côté, les chanfreins convergeant vers le centre) signale littéralement un point de fuite, et ces découpes ajourées qui laissent à l’occasion voir le mur d’accrochage indexent d’autres concepts spatiaux. Si Anne de Nanteuil multiplie les références, synthétisant jusqu’à la parodie puis compilant des décrets esthétiques aussi divergents, c’est pour mieux démontrer les limites comme l’arbitraire de toute conception essentialiste. C’est là un fil conducteur de sa démarche : brocarder, par des citations réitérées aux matières, aux espaces et aux comportements domestiques, ces habitudes intellectuelles sur lesquelles l’on se repose. Autrement dit, déplacer les lieux communs pour mesurer, par l’écart ainsi généré, le caractère régulé du jeu de l’art et de nos représentations quotidiennes.

Il est rare qu’un travail trouve ainsi son principe dans l’équivoque. Il aurait pourtant fallu le pressentir au vu des matériaux utilisés pour ces espaces-machines – tant de rendus contrefais, de plastiques, de vinyles imitant bois, carrelage ou pierre, voilà qui sape définitivement toute prétention à une soi-disant vérité intrinsèque. A rebours, ici, la justesse de la ressemblance dépend de la copie. Autrement dit, la véracité s’avère être le produit d’une falsification réussie – et n’est-ce pas en définitive le cas de toute tentative de traduction de la profondeur, obligé à cet artifice de la réduction à deux dimensions. Anne de Nanteuil assume le simulacre – ce qui n’apparaît comme vrai que sous la condition de sa fausseté –, soutenant par là l’idée qu’aucune forme plastique ne se donne en-soi mais qu’elle doit être construite. Et réaffirmant l’essentiel : que vrai et faux ne sont que des idées, des possibles, et non des états ou des choses.

 

Marion Delage de Luget.

 

Cold as ice

 

Le mur est couvert de taches, malingres ou denses. Il faut garder les yeux sur elles tandis que l’on se déplace, pour saisir au passage leur iridescence, dont les propriétés hypnotiques doivent autant à la mise en œuvre de la pièce qu’à sa suggestion formelle.

 

Le geste, donc : produite par la répétition sérielle, millimétrée – maladive, névrotique – du même enfoncement de l’épingle dans le matériau, l’œuvre chronophage subordonne l’artiste à sa lente contamination. C’est le principe paradoxal de l’oubli du corps dans le ‘fait main’ ; celui, aussi, d’une régularité de métronome et d’une durée incompressible dans la réalisation, pour une œuvre dont l’invasion semble se poursuivre d’elle-même. Sa contemplation est comme un repas plus vite avalé que préparé ; sa digestion est inquiète, tant font leur chemin en nous ces tâches ambigües.

 

C’est aussi le fait de la forme que de happer le regard, forme qui, associant au volume d’une sculpture la finesse grise du dessin, se déploie sur les plans verticaux et horizontaux à la manière d’un champ orthonormé. Échappant de la sorte au simulacre non « tactile » que renfermait pour Aloïs Riegl l’image en surface, la contamination bidimensionnelle de Cold as ice renforce son tacite danger. Or, ce danger réside autant dans l’avancée agressive des épingles que dans la nature de la tâche. L’œuvre engage en effet, au même titre que Dans le mur, de la même artiste, une réflexion sur la supposée platitude et le concept même de ‘paroi’. Une infiltration pose ordinairement la question de sa provenance ; or, dans le mur surgit ce phénomène pointilleux dont le profond enracinement dans la cloison fait oublier la possibilité d’une origine. Nous dupant sur son autonomie d’existence et de mouvement, sa suspecte incarnation métallique, sa fixité, son déploiement dans et hors du mur, menacent autant la raison que le corps.

 

Quoique abstraites, les figures  se font taches, moisissures, gangrène. Leur absence de représentation, précisément, ratifie le pouvoir de l’imagination, que les pics dressés glacent d’un léger effroi. Paroi spéculaire où se mirent de part et d’autre créateur qui enfonce les aiguilles et observateur qui les craint, Cold as ice est une pièce doublement cannibale : de son auteur, et de celui qui la regarde.

 

Audrey Teichmann.

 

Publications

 

Septembre 2020: Luca Nicolao, Résident book, le 6B.

Mars 2018: Labyrinthos. Attila Cheyssial.

Mai 2017: L’art et ses objets, catalogue d’exposition. Gaya Goldcymer et Jonathan Taieb. Galerie Episodique, Paris.

Décembre 2015: Recto-Verso, catalogue d’exposition, fondation LVMH.

Juin 2015: Sur le passage de quelques personnes à travers une courte unité de temps. Catalogue d’exposition, Gaya Goldcimer.

Janvier 2015: A postériori, 10 ans d’art à la Maréchalerie, catalogue de l’exposition anniversaire.

Décembre 2014: Art is hope, remove clothes, 140 artists against aids, Paris.

Octobre 2014: Vu d’ici, projet réalisé avec les femmes de la maison d’arrêt de Versailles, en
collaboration avec la Marechalerie, Versailles.

Mai 2012 : Ever living ornement, catalogue d’exposition, Editions B42, Paris.

Mars 2011: Kurtzine n°2, Commettre une sculpture de rond-point, collectif Kurt- forever, Saint Denis.

Septembre 2010: Kurtzine n°3, Reproduire, collectif Kurt-forever, Saint Denis.

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